mardi 14 octobre 2008
Bobigny vue par Ludovic
Ludovic, Paris 20ème
Je vis à Paris, dans un quartier très populaire, Ménilmontant. Je ne suis pas né à Paris, n'y suis arrivé qu'à 25 ans, après avoir « longtemps » rêvé de devenir parisien. Enfin, je me trouvais au centre du monde, dans la plus belle ville du monde. Et très vite, j'ai développé cette qualité très provinciale qu'est le snobisme parisien. Jamais je ne me rendais dans certains quartiers, réputés trop ceci ou trop cela, et jamais, non surtout jamais, je ne passais le périphérique, frontière définie de la banlieue, de ceux qui étaient mis an ban et qui ne « méritaient » pas ma qualité, le privilège d'être parisien.
Puis le temps a passé, la précarité est arrivée, aux gens de mon quartier je me suis de plus en plus identifié. Je reste depuis indécrottablement de et à Ménilmontant. Je reconnais volontiers que je suis devenu un peu casanier. Bien sûr, je vais régulièrement « dans Paris », mais c'est davantage par obligation, pour mes activités, parce que sortir du quartier, c'est aller ailleurs, dans une autre ville plutôt que dans la ville. Les différences que l'on peut ressentir ailleurs, n'enrichissent pas toujours. C'est ce qui me surprend le plus, je crois, le sentiment de ne pas habiter la même ville, en traversant Montorgueil, Saint-Germain ou même François Mitterand. Se promener au Trocadéro, traverser la place Victor Hugo, quitter la Maison de la Radio, visiter le Quai Branly, puis retrouver Ménilmontant, il faut se convaincre que nous partageons la même cité.
Je me rends compte aujourd’hui que j'ai un réel sentiment d'appartenance à mon quartier, bien que je préférerais parfois que ce soit lui qui m'appartienne un peu plus. « Tu es d'où ? - De Ménil' ! - Ah.... ». Et tout est dit. En Province, je dis plutôt que je suis de Paris, la précision de Ménilmontant peut venir après, si cela intéresse celui qui veut savoir. Quant à l'étranger, je dis simplement que je suis de Paris, et cela fait rêver.
Mais de l’autre côté du périphérique, je ne voulais toujours rien savoir…
Puis Julia Cordonnier est arrivée. Moi, je venais parader avec mon appareil semi-pro, plusieurs cailloux, et Julia a désigné un f4.5-5.6/28-105 mm, en me disant « J'aimerais que tu utilises cette optique-là. - Mais c'est la plus pourrie !?! - Peut-être, mais c'est celle qui offre la plus grande amplitude ! » Décidément, cette fille avait décidé d'élargir mon horizon.
Par exemple à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, le mythique « 9-3 ». C’est là que Julia me proposait d’aller jouer le reporter, après avoir considéré ce satané périph’ comme une simple voie d’accès. Avant de commencer, se mêlaient en moi appréhension et curiosité. De l’autre côté de la couronne, un monde quasi inconnu, jusque-là essentiellement relayé par quelques poncifs et la télé-irréalité. Ma première question, qui se voulait drôle, mais marquait une certaine idée de la banlieue, fut de savoir si en plus des appareils, on nous avait prévu des gardes du corps. Habituellement, pour moi, la banlieue, c’est la traverser sans la regarder, sans s’y arrêter. Bobigny, Aubervilliers ou Saint-Denis, j’y vais sans me soucier, et en repars dès que j’ai terminé. L’œilleton d’un boîtier-photo implique d’avoir un œil et d’observer, de chercher, d’être aux aguets des gens et des évènements. Parvenir à captiver un intérêt, discerner l’attrait et la beauté de Bobigny trop souvent mal qualifiée par la grisaille et la morosité.
Très vite, je me suis senti égaré, perdu dans une banlieue que je ressentais désertée au milieu de ce mois de juillet. Puis après quelques heures, quelques jours, j’ai commencé à repérer, identifier. Finalement, je me suis surpris à repartir avec une impression de luminosité et d’espace. Bobigny m’avait insufflé une sensation d’air, face à un Paris resserré, peut-être plus enfermé, cerné par ce maudit périphérique. Je flânais aux abords du canal, où j’imaginais difficilement me trouver à quelques centaines de mètres des portes de Paris. Le temps d’une station entre Picasso et Raymond Queneau, le métro devenait un vrai train de campagne, entre verdure et canal.
J’ai aimé me promener parmi les tombes qui tanguent du cimetière musulman, saisir quelques rires d’enfants en vacances dans le tramway, découvrir ce quartier hétéroclite de la Folie, ou encore celui du « Pont de Pierre », près des voies ferrées en service ou désaffectées où je me suis amusé à m’aventurer. Je crois que c’est l’endroit que j’ai préféré photographier. N’oublions pas l’hôpital Avicenne ou le site de l’Illustration (investi depuis par l’Université Paris 13), emblématiques de la ville de Bobigny.
Également, les pittoresques « petits pavillons de banlieue » et les jardins ouvriers.
A force de me balader, d’errer, d’observer, de photographier, j’ai commencé à comprendre que c’est ainsi que naissent les légendes urbaines, avec la crainte de ce que l’on ne connaît pas et les préjugés qui sclérosent la curiosité. Et finalement, la banlieue, je crois maintenant que je ne sais plus tout à fait ce que c’est. Certes on n’est plus vraiment à Paris, ni déjà en province, mais on est bien quelque part dans un espace identifiable, mais peu identifié, et où il est possible, en dépit des idées reçues, d’éprouver du plaisir, du désir et surtout la volonté d’y revenir.
Au contact de ces quelques images, mais également de celles des autres participants de Diverses cités, des barrières se sont abattues, des champs de vision et de création se sont ouverts, des rencontres se sont faites. J’ai ressenti une éprouvante mais exaltante sensation de déstabilisation, doublée de la plaisante découverte de travailler au sein d’un collectif. Une expérience inédite, incroyable et inoubliable, durant laquelle j’ai un peu plus appris à partager, à lâcher prise et à laisser la lumière pénétrer.
Pour voir ma galerie-photo, cliquez sous le lien ci-dessous:
Ludovic Weyland
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4 commentaires:
J'ai laissé la lumière pénétrer..Belle expérience et beau texte. Comme un voyage initiatique que j'aurais besoin de faire.
Jean-Claude
Alors! Bobigny c'était l'aventure!!! beau travail monsieur!
Manon
Enfin tes photos sur le blog et elles sont réussies, des regards touchants et des lieux symboliquement forts. Bien joué. Nous nous rencontrerons surement pour la soirée d'ouverture du festival. A bientôt sam
j'aime beaucoup les angles de vues, la perspective pas pourrie du tout, les visages perdus au milieu des pierres, des lignes, de l'asphalte, les lieux symboliques et humainement riches en projections. la lumière quand elle pénètre rend les choses chaleureuses, c,est cela que j'ai vu. félicitations. Aline
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